Groupe de Recherches Anglo-Américaines de Tours
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Book Review Editor: Molly O'Brien Castro

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(Literature, Civilization, Cultural Studies, Gender Studies, Linguistics)
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GRAAT: Getting to the bone
A peer-reviewed journal of Anglophone Studies

 

Sébastien Hubier & Emmanuel Le Vagueresse (dir.), Gender et séries télévisées (Reims : Éditions et presses universitaires de Reims, 2016). 20€, 235 pages, ISBN 978-2-37496-020-3—Benjamin Mauduit, Université François-Rabelais, Tours.

La plus grande présence des Gender Studies dans le milieu universitaire français offre l'opportunité d'étendre cette sphère d'étude à l'analyse d'artefacts culturels variés, et par conséquent de multiplier les liens entre différentes disciplines. C'est ainsi que les actes des journées d'étude « Gender et séries télévisées », réunis par Sébastien Hubier et Emmanuel Le Vagueresse qui ont organisé cet évènement en avril 2015, regroupent les contributions de chercheuses et chercheurs en arts du spectacle, littérature comparée, études hispanophones, études anglophones, traductologie ou encore lettres modernes.

La préface [5-15], offre une présentation condensée et claire des enjeux qui imprègnent les Gender Studies depuis la publication en 1972 de Sex, Gender and Society écrit par Ann Oakley. L'insistance faite sur leur « approche relationnelle » [5] est bienvenue, tout comme la prise en compte des paramètres comme la classe, la race ou l'âge, ainsi que les précisions sur la question du corps humain et des aspects trans qui y sont liés. Suit une présentation des articles publiés, précédée d'une précision quant à la prédominance des séries télévisées étasuniennes (onze) dans l'ouvrage, auxquelles s'ajoutent trois séries espagnoles et catalanes. Si les séries étudiées sont en majorité anglophones, leur diversité générique est plus grande : on recense comédies dramatiques, situational comedies, urban fantasy, space opera… Enfin, une bibliographie sélective qui inclut des ouvrages fondateurs et des publications plus récentes permet de guider le lecteur vers les approches théoriques des Gender Studies ainsi que leurs applications à divers domaines de recherche.

L'un des obstacles susceptibles de gêner l'entrée dans un tel ouvrage est la diversité de ses objets d'étude : la connaissance des séries, si elle n'est pas nécessaire à la lecture des articles, permet de mieux en apprécier l'analyse. La contextualisation intra- et extra-diégétique ne peut être que nécessairement partielle étant donnée l'exercice de communication. Pareillement, son inclusion dans le corps de l'analyse, si elle permet de lui donner un certain dynamisme, peut dérouter qui n'est pas familier de la série—tandis qu'une présentation en début d'article, si elle peut paraître « scolaire », a le mérite de « poser le décor » de l'étude. Sur ce point, qui reste insoluble, les auteurs ont bien entendu opté pour le choix qui leur paraissait le plus pertinent selon l'angle qu'ils ont adopté et la longueur de leur analyse.

Stella Louis, dans son étude comparée de Buffy the Vampire Slayer, True Blood et Once Upon a Time [17-32], en partant des rôles stéréotypiques de genre dans les films d'horreur, retrace une histoire succincte de la blonde comme « Femme » [18] archétypale depuis les mythologies gréco-romaines et bibliques jusqu'aux contes de fées et œuvres appartenant au genre gothique. La vision des protagonistes féminines comme combinaison des attributs d'Aphrodite et Athéna, leur rapport à l'absence du ou des parent-s et la redéfinition des rapports de domination amoureuse, mènent à la mise en exergue d'un héritage des clichés qui permet aux créateurs d'en jouer pour offrir différentes visions du « pouvoir de la femme » [32].

Sébastien Hubier entame son article sur Sex and the City et Desperate Housewives [33-55] par une considération de l'artefact sériel comme objet propre à l'analyse scientifique et offre un panorama des artefacts télévisuels fondateurs en matière de genre (gender). L'éclairage qu'il porte sur les contradictions qui règnent au sein des deux séries lorsqu'il s'agit d'émancipation féminine et de remise en question de la hiérarchie de genre le mène à considérer la constitution de duos amoureux femme-homme comme éléments facilitateurs du renforcement de la domination masculine. Son analyse de l'inversion des tropes du film noir, lorsque Sex and the City construit une scène de première rencontre, rend d'autant plus visible la non-subversion apportée par l'épilogue procréateur. L'analyse de Desperate Housewives, qui rend hommage au travail de Virginie Marcucci, fait ressortir la place occupée par la (dé)construction de « l'homme idéal » [52] et mène à une coda sur cet autre aspect—celui-là mis en lien avec Gossip Girl—que sont les relations intra- et inter-générationnelles et les stéréotypes qui leur sont associés.

Remedio Ponce Gonzalez a fait découvrir au présent lecteur Cuéntame cómo pasó [57-72], dont la présentation claire—tant au niveau contextuel que formel—incite à se pencher sur cet artefact qui traite de la vie d'une famille au cours du franquisme tardif (1969-1975) en entremêlant le fictionnel aux images d'archives. Le parcours de Mercedes, mère de famille, est étudié avec soin et montre les tensions qui imprègnent les questions d'émancipation féminine dès lors que jouent les rapports de classe. L'enchâssement de l'analyse dans la question de la reconstitution matérielle d'une époque— dont tout fait comprendre qu'elle est superbement exécutée—ne peut que faire regretter ici l'absence d'images, en particulier les insertions évoquées au début de l'article [58] et le rôle qu'elles jouent dans l'inscription de la fiction dans l'Histoire.

Emmanuel Le Vagueresse se penche sur le duo James West / Artemus Gordon dans Wild Wild West [73-120] et observe les tensions de genre qui sous-tendent la peinture faite de ces personnages. Si l'on retrouve bien les topoï du buddy movie—voire du buddy cop movie étant donnée l'emploi des protagonistes—West, « surmâle » dont le torse souvent exhibé est autant adressé aux femmes qu'aux hommes, ne peut manquer d'offrir un contraste avec Gordon, plus proche du tenderfoot et remémoré (avec disproportion) comme le travesti des deux. L'analyse intègre les débats sur ce sous-texte allosensible qui agitent les forums ou blogs dédiés à la série et offre une vision éclairante des passions que peut déchaîner un artefact devenu « culte ».

Charles Joseph explore la série Transparent [121-148], dont il analyse la première saison au prisme de Derrida. L'artefact expose les vies de la famille Pfefferman après que le père (Morton) s'est déclaré femme (Maura). La présentation des différents personnages est fouillée, de telle façon que le lecteur est en mesure de saisir les enjeux relationnels, et prépare le reste de l'analyse. Les ambiguïtés du genre, en particulier dans les scènes qui abordent explicitement l'activisme féministe, sont renforcées par « l'impossibilité du récit » [133] individuel et familial, ainsi que par la polysémie du titre. Enfin, la démonstration des tensions qui lient questions de genre et développement identitaire individuel (illustrée par la paire « genre / jenre ») mène à percevoir la multiplicité des points de vue comme l'éclatement de la notion en tant que facteur catégorisant.

Angel Delrez s'attarde sur une scène de The Knick [149-158] en invoquant lui aussi Derrida (Éperons. Les styles de Nietzsche) pour analyser la démonstration en 1900 dans un hôpital d'une opération de césarienne qui échouera. C'est l'incision qui occupe la place centrale de l'essai, en tant que geste du monteur comme du chirurgien, dans le cadre d'un corps féminin volontairement ouvert pour sauver une vie mais voué à mourir. Le dialogue entre les trois textes qui parcourent l'essai, s'il participe de la démarche adoptée, peut être malaisé à lire car la mise en page gêne la démonstration d'une inscription de l'économique dans ce qui semble n'être au premier abord qu'une anecdote tragique de medical drama.

Antonio Dominguez Leiva aborde Star Trek (la série originelle des années 60) sous l'angle de la xénophilie [159-182]. La figure centrale du capitaine Kirk, devenu le tombeur interplanétaire par excellence (n'oublions pas la remarquable parodie qui en est faite dans Futurama en la personne de Zapp Brannigan) occupe une place centrale mais non exclusive. En commençant par les récits de « rencontres rapprochées du 7e type » [160] depuis le pulp en passant par les « témoignages », l'analyse éclaire la part de désir trouble envers l'Autre qui sous-tend l'artefact et contribue à former une image du féminin comme extraterrestre. La prise en compte de la réception par un public simultanément interprète et créateur (TV Tropes, slash fic writers…) offre un panel des possibilités sémantiques que fournit une autre « série culte ».

Julio De Los Reyes Lozano étudie la traduction des dialogues de Mad Men en espagnol et en français [183-203]. Après une explication très claire des procédés de traduction audiovisuelle, il se concentre sur un épisode particulier dont trois scènes sont analysées en détail au niveau des dialogues. Le recours aux graphes pour les procédés de traduction et aux tableaux comparatifs pour mettre les versions différentes en parallèle est le bienvenu, même si une plus grande mise en relation de ces éléments l'eût tout autant été. Pareillement, la conclusion reste descriptive malgré l'ouverture promise par une analyse aussi pointue.

Victor-Arthur Piégay aborde Charmed [205-220] sous l'angle de l'interprétation de son sous-texte : s'agit-il d'un « objet conservateur » aux moments subversifs, ou d'un artefact à l'idéologie apparemment progressiste mais empreint d'une contenu conservateur ? [215-216]. L'analyse des aspects matrilinéaires (matriarcaux?) du pouvoir magique, ainsi que des orientations professionnelles attribuées selon les lignes de genre, mènent à une représentation des différences comme fondamentales, et même à un renforcement supplémentaire par les catégories propres au genre fantasy. La conclusion d'une ambiguïté propre aux artefacts « postmodernes » permet de dépasser la dichotomie d'un public sagace ou naïf.

Jennifer Houdiard met en relation deux séries catalanes, Majoria absoluta et La sagrada familia [221-234]. Leur inscription dans le contexte d'une région aux tendances autonomistes est appréciée, d'autant plus que l'auteur souligne l'impact que cela peut avoir sur la création artistique. L'inspiration manifeste des deux artefacts par des séries étasuniennes met en lumière la récurrence de « types » au sein de la production audiovisuelle et montre la centralité de la figure paternelle dans ces situational comedies. Malgré les différences de classe qui séparent les deux ensembles de personnages, « l'intrusion […] du macho ibérico » [234 rend caduc le désir de démarcation des industries culturelles catalanes dans ces exemples précis.

Pour conclure, le florilège offert ici mérite considération de par son caractère interdisciplinaire, interlinguistique et « interméthodique ». Le présent lecteur ne peut d'empêcher de regretter que deux interventions annoncées à la journée d'étude n'aient pu donner lieu à une publication auprès de celles données ici, mais l'ouvrage devrait intéresser tout-e universitaire curieux-se de l'application des Gender Studies au médium sériel audiovisuel.

© 2017 Benjamin Mauduit & GRAAT On-Line

 

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 


 

Senior sub-editor: Hélène Tison
lntison@yahoo.fr