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Serge Ricard, Théodore Roosevelt et l'Amérique impériale (Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2016). 24€, 364 pages, ISBN 978-2-7535-4893-0—Anne-Claire Lévy, Université Panthéon-Assas - Paris 2.

En matière de politique extérieure, les États-Unis ont souvent adopté un discours moralisateur, empreint d'une sorte d'idéologie « messianique » [13] couplée à un sens du devoir d'assistance. Pour Serge Ricard, Professeur émérite d'histoire et de civilisation américaines à la Sorbonne Nouvelle (Université Paris III), il ne faut oublier les « intérêts nationaux égoïstes » [13] qui ont eux aussi dicté les attitudes et les actions américaines en matière de politique étrangère.

Lorsque Théodore Roosevelt est élu Président des États-Unis en 1904, le pays est alors en pleine mutation sociale et économique. Pénétré par la tradition expansionniste américaine, Roosevelt fut un véritable précurseur en matière de diplomatie et incarna parfaitement la culture politique de son pays : il fut un homme d'État moderne empreint et porteur de l'exceptionnalisme américain. Il fit naître une nouvelle diplomatie basée sur l'abandon partiel de l'isolement et sur la préservation d'un équilibre des puissances.

À la suite du Companion to Theodore Roosevelt (Wiley-Blackwell, 2011), Serge Ricard a actualisé sa recherche et a poussé la réflexion qu'il a menée dans Théodore Roosevelt : principes et pratique d'une politique étrangère (Publications de l'Université de Provence Aix-Marseille 1, 1991).

Dans Théodore Roosevelt et l'Amérique impériale, Serge Ricard replace la présidence rooseveltienne dans la continuité expansionniste des XVIIIe et XIXe siècles. Il réexamine d'une part la contribution du vingt-sixième Président des États-Unis à la politique étrangère de son pays et s'interroge d'autre part sur les ressorts de cette diplomatie [33]. Il offre au lecteur une analyse des thèses rooseveltiennes et décrit leur mise en application, lui permettant ainsi d'apprécier l'étroite relation qu'entretiennent principes et pratique. Il restitue les principes qui ont guidé l'action extérieure de Roosevelt ; l'action intérieure n'est abordée que lorsqu'elle a joué un rôle dans la diplomatie.

Cette nouvelle édition, refondue, est divisée en deux grandes parties, elles-mêmes divisées en chapitres. La praxis rooseveltienne sur la scène internationale est le thème central de l'ouvrage. Le prologue dresse un bilan historiographique de la notion d'impérialisme américain.

La première partie s'intéresse aux années de « maturation » [35] de Roosevelt, celles d'avant la présidence (1881-1901) : le politicien prodige, l'historien des États-Unis, l'apologiste de la démocratie expansionniste et le géopoliticien de l'impérialisme, partisan de ce que Serge Ricard appelle l'hégémonie « hémisphérique » [35]. Cette partie retrace notamment la genèse de la personnalité de Roosevelt en s'intéressant à son éducation et à son expérience de l'Ouest. Le premier chapitre insiste sur le fait que chez Roosevelt pensée politique rimait avec morale, politique et morale étant toutes deux inextricablement liées. Le caractère réformiste et idéaliste de Roosevelt s'est à la fois forgé et illustré avec ses premières responsabilités politiques : député à la Chambre basse de l'Etat de New York, commissaire au recrutement des fonctionnaires, préfet de police de New York et secrétaire adjoint à la marine. Il établit sa réputation de soldat téméraire et de héros en 1898 lors de la bataille décisive de la guerre hispano-américaine, la bataille de San Juan Hill. La même année, il pénétra dans ce que Serge Ricard nomme « l'antichambre » du pouvoir lorsqu'il devint gouverneur de l'Etat de New York. Vice-président de l'administration McKinley en 1900, il accéda à la magistrature suprême en 1901 après l'assassinat de ce dernier.

La seconde partie de Théodore Roosevelt et l'Amérique impériale est dédiée à la présidence, « l'ordre rooseveltien » [151] (1901-1909), pendant laquelle Roosevelt a mis en œuvre une politique extérieure novatrice qui permit au pays de faire son entrée dans le cercle des grandes puissances. Les États-Unis rompirent avec leur passé isolationniste et passèrent de la doctrine de Monroe à la doctrine de Roosevelt pour devenir l'arbitre entre les grandes puissances, renforcer leur influence et affirmer leur suprématie en Amérique latine. Roosevelt était convaincu que les États-Unis devaient poursuivre leur expansion hors de leurs frontières nationales et répandre leur « exceptionnalisme ». Il renforça donc la puissance navale de son pays et s'efforça d'équilibrer les impérialismes en Asie et en Europe. Grâce à un président partisan d'une diplomatie dite du « gros bâton », les États-Unis accrurent leur emprise et leur influence aux Caraïbes et dans l'océan pacifique. En outre, Roosevelt soutint une rébellion au Panama pour obtenir l'indépendance de cette région appartenant à la Colombie en vue d'y construire un canal sous le contrôle américain. Fervent défenseur de la marine, il considérait que le passage par l'isthme de Panama était important pour renforcer le pouvoir de cette dernière. En 1904, il formule le corollaire à la doctrine du président Monroe selon lequel les États-Unis doivent intervenir pour défendre leurs intérêts dans l'ensemble du monde, légitimant ainsi un pouvoir de police internationale ainsi qu'une intervention préventive en Amérique latine. Il intervient personnellement dans l'arbitrage du conflit entre la Russie et le Japon, ce qui lui vaut le prix Nobel de la paix en 1906, et dans celui entre la France et l'Allemagne sur la question marocaine.

Dans la conclusion de son étude, Serge Ricard s'est attaché à examiner l'après Roosevelt. Pour lui, ses successeurs ont dilapidé son héritage [285] ; après 1909, l'internationalisme prudent a laissé place à un moralisme irréaliste [36]. En 1910, les Républicains sont divisés. L'absence de Roosevelt de la scène internationale a permis a contrario de prendre la mesure du caractère novateur de ses politiques, lui qui a permis à Washington de jouir d'un grand prestige et d'un profond respect dans les capitales du monde entier [285]. C'est à partir de 1945 que l'héritage de Roosevelt fut redécouvert par ses successeurs. Serge Ricard souligne que même si « la leçon de professionnalisme » fut parfois oubliée, son « héritage impérialiste » ne fut jamais renié [304].

Face à un Roosevelt « aujourd'hui paré de toutes les vertus, au point que son credo expansionniste et sa politique interventionniste sont minimisés, relativisés ou excusés, sinon glorifiés » [32-33], l'ouvrage de Serge Ricard n'héroïse pas le vingt-sixième président des États-Unis ; l'auteur atteint son but : rendre justice à l'originalité et à la modernité de Théodore Roosevelt, une personnalité étonnante et hors du commun que le lecteur est habilement amené à (re)découvrir. Retenons que Roosevelt, fervent partisan de la Realpolitik, fut avant tout un homme d'action et de réflexion, un pragmatique profondément réaliste et un internationaliste prudent. En matière de diplomatie, il sut marier tradition et innovation. Il fit entrer les États-Unis dans l'ère des réformes sociales et redora le blason de la Maison-Blanche.

L'ouvrage de Serge Ricard est un ouvrage technique et pointu. Très complet, il allie histoire des idées et histoire diplomatique. Clair et très bien conçu, il repose sur des bases bibliographiques extrêmement solides. Les sources publiées ou inédites utilisées proviennent essentiellement de la Theodore Roosevelt Collection de l'université Harvard. L'apport de Théodore Roosevelt et l'Amérique impériale est incontestable pour tout américaniste, étudiant ou enseignant, ou pour toute personne désirant se familiariser avec la politique étrangère des États-Unis, ses origines et ses premières manifestations.

© 2016 Anne-Claire Lévy-Rivière & GRAAT On-Line